GLAUCO GIULIANO : Mesdames et Messieurs, bonjour. Je suis très obligé à l’amabilité de M. Lory, si je peux prononcer quelques mots, dans ce siège prestigieux, sur mes livres concernant Henry Corbin. Dans ces livres, je vois H.C. comme un maître pour une pensée – j’entends : pour une façon de pensée – eurasiatique.

         Encouragé par les nombreuses allusions à l’Orient extra-islamique semées dans ses écrits, je me suis convaincu, en effet, que la méthode corbinienne peut être bien féconde au delà aussi des Religions abrahamiques, dans le dessein de restaurer, ou de bâtir même, l’unité spirituelle de l’Occident et de l’Orient : en un seul mot, de l’Eurasie.

         En ayant en vue une telle finalité, j’ai étudié deux thèmes, surtout. Le premier, c’est une interprétation du Mundus imaginalis, dont j’ai considéré non seulement la position et la fonction médiatrices, mais, avant tout, la nature unifiante et totalisante. H.C. souligna que ce monde n’est pas situé, mais situatif. Il a souvent rappelé l’image de la sortie du monde inférieur, au delà de la Montagne de Qâf, à la surface convexe de la neuvième (IX) Sphère. Comme il l’écrivait dans sonAvicenne, le philosophe gnostique, qui est sorti du monde sensible, au bout de son ascension imaginale le renferme en soi-même, le rend intérieur. Alors les deux polarités, intelligible et sensible (mais, aussi, le modus essendi et le modus intelligendi), de ce Mundus  appartiennent, réellement et concrètement, à cette uni-totalité; elles ne sont rien hors de elle; en elle, seulement, elles acquièrent leur véritable signification, que nous ne connaissons pas dans notre condition d’exiliés à l’Occident de l’Esprit.

         Nous savons aussi que, dans le lexique de C., comme de ses Ishrâqîyûn, l’Orient (l’Extrème-Orient) et l’Occident désignent l’intelligible et le sensible, qui sont unis dans l’Orient Mineur de l’Âme, dans l’Orient Moyen du Mundus imaginalis, le câlam al-Mithâl. Dans cette perspectivegéosophique, l’Eurasie se montre à nous comme l’image d’un univers, auquel l’unité des deux polarités (intelligible et sensible, Orient et Occident) confère un caractère mental, qui est comparable avec certaines gnoséologies orientales, notamment bouddhiques.

 Cela me conduit à mon second sujet. Dans ses dernières années, surtout, H.C., comme l’on sait, s’adonna au Combat pour l’Âme du Monde, à l’Urgence de la Sophiologie; c’est à dire non pas à refuser simplement l’individu, mais plutôt à restaurer l’unité et l’intégralité de la Personne, qui est l’individu complet, dans son union syzygiaque avec sa dimension céleste: il nous parle, donc, de couple sophianique, de bi-unité etc. Nous pouvons, par conséquent, mettre en correspondance réciproque l’unité du Mundus imaginalis, l’unité de l’Eurasie, l’unité de la Personne. H.C. nous exhorte à reconstruire l’intégrité de ces couples omologues, qui composent une tri-unité.

         On peut donc envisager la possibilité d’un échange: d’un côté, l’étude des métaphysiques orientales (ou, plutôt, de la métaphysique orientale), en premier lieu dans son expression bouddhique, qui nous est plus familière, et à laquelle H.C. le plus souvent se réfère, nous permet d’approfondir la signification gnoséologique, mentaliste, de la notion de Mundus imaginalis; d’autre côté, la dimension pleinement personnelle, dans laquelle seulement ce Mundus est réel et véritable, peut éclaircir le contenu proprement ontologique des métaphysiques orientales et, par cette voie, nous dévoiler l’Icône de l’Eurasie.

Merci beaucoup.