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LA VIE ET L’ŒUVRE D’HENRY CORBIN EN QUELQUES DATES

Par Christine Goémé

pochette cd_tres_petitNé à Paris en 1903, Henry Corbin fit des études secondaires au collège abbatial de Saint-Maur, puis au Grand séminaire d’Issy avant de passer une licence en philosophie scolastique à l’Institut catholique de Paris en 1922. (1)

En 1925, il passe une licence de philosophie à la Sorbonne et il suit, parallèlement, les cours d’Etienne Gilson sur « l’avicennisme latin au Moyen-âge » à la Ve section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. C’est à la suite de ce cours que Corbin décide d’apprendre l’Arabe à l’Ecole des Langues orientales. L’influence de Gilson (2) sur Corbin est considérable : en 1976, il dit garder « le souvenir éblouissant » que lui ont laissé ces cours et déclare : « mon impression admirative fut telle que je résolus de le prendre pour modèle. » (3)

A cette époque, Henry Corbin commence des études de sanskrit. Il fit aussi des études d’araméen et il était, bien entendu, latiniste et helléniste.

Il suivit également, au Collège de France, les cours de Jean Baruzi sur Luther et saint Paul qui eurent sans doute une influence sur sa conversion au protestantisme. Il obtient son diplôme d’études supérieures de philosophie en 1927. Sur le travail qu’il fit à cette époque, il déclare, toujours en 1976 : « Ce fut une fameuse période d’ascétisme mental, je puis vous l’assurer. » (4)

Diplômé en 1928 de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes avec un mémoire sur « Stoïcisme et augustinisme dans la pensée de Luis de Leon » -un moine érudit espagnol du 16ème siècle, à la fois grand théologien et immense écrivain- et diplômé en 1929 de l’Ecole des Langues orientales en arabe, turc et persan, Corbin, qui n’avait pas de fortune personnelle, dut travailler : il fut engagé, comme orientaliste, en tant que bibliothécaire adjoint à la Bibliothèque Nationale. C’est là qu’il se lia d’amitié avec Georges Bataille et qu’il rencontra, en octobre 1929, Louis Massignon qui lui offrit une édition lithographiée du Livre de la Sagesse orientale œuvre majeure de Sohrawardî, le grand philosophe et mystique persan, sur lequel Henry Corbin travailla toute sa vie.

En lui remettant ce texte, Massignon fit pencher vers l’Iran la vocation savante de Corbin qui hésitait à l’époque entre l’Hindouisme et l’Islam.

Corbin eut également une activité militante dans les cercles d’étudiants chrétiens (où il se lia d’amitié avec Jean Cavaillès) et présida en 1930 la Fédération française des Associations chrétiennes d’étudiants.

En 1930, au cours d’un premier voyage en Allemagne, Henry Corbin, qui était déjà un germaniste reconnu, découvrit l’œuvre de Martin Heidegger qu’il rencontra l’année suivante.

Il mena dès lors un travail sur deux fronts, celui de la phénoménologie allemande et celui de la philosophie orientale.

Toujours dans les années 30, il fit plusieurs voyages en Allemagne où il fut très influencé par ses rencontres avec Abraham Heschel et Rudolf Otto : en compagnie de ses amis, Georges Vajda, Schlomo Pinès et Paul Kraus (avec lequel il traduisit et édita une œuvre de Sohrawardî, et dont il classa les papiers après sa mort), Henry Corbin prépara une anthologie de la mystique juive et islamique, dont il ne reste que des ébauches. Les quatre amis, tous élèves de Massignon, avaient commencé à travailler sur la dimension métaphysique sous-jacente aux deux religions, notamment sur les divisions semblables qui coïncident dans les deux religions entre le Zâhir et le Bâtin (en arabe) et le Niglé et le Nistar (en hébreu) : il s’agit là de la séparation, sur laquelle Corbin orienta son travail, entre la lettre et l’esprit dans la Bible et le Coran. (5)


En 1935-36, il est détaché à l’Institut français de Berlin et il prépare une traduction de Qu’est-ce que la métaphysique ? de Martin Heidegger, qui parut en 1939.

À Paris, il se lie d’amitié avec Alexandre Kojève, Alexandre Koyré, Jacques Lacan, Raymond Queneau, Bernard Groethuysen (avec lequel il eut de longues conversations sur Dilthey), mais aussi Emile Benveniste (avec lequel il entretint une importante correspondance) Chestov, Henri Michaux ou encore André Malraux. En 1937, il remplaça provisoirement A. Koyré à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, et donna des conférences sur Hamann et l’herméneutique luthérienne.

En 1939, Julien Cain lui offrit de partir pour six mois à Istanbul, comme pensionnaire d’abord, puis comme responsable de l’Institut français, séjour qui se prolongea pendant toute la durée de la guerre. C’est là que H. Corbin prépara les éditions critiques des philosophes de l’Islam, singulièrement de Sohrawardî et entreprit la découverte du champ, a peu près inexploré jusqu’alors, de la philosophie iranienne islamique. En 1945, il fut chargé de fonder et d’organiser le Département d’Iranologie de l’Institut français de Téhéran.

Il collabora, de 1949 jusqu’à sa mort, au cercle Eranos, à Ascona (Tessin), où il retrouva régulièrement Carl Gustav Jung, Mircea Eliade, Gershom Scholem, Henri-Charles Puech et bien d’autres grands noms de la science des religions.

 

En 1954, avec l’appui de Louis Massignon, Henry Corbin fut élu à la direction d’études « Islamisme et religions de l’Arabie » à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Ve section). Dès lors, son temps se partagea entre Paris et Téhéran (où il enseignait l’histoire de la théologie et la philosophie islamique). Il forma ainsi un très grand nombre de chercheurs tant en France qu’en Iran, et eut également une influence internationale sur tous les spécialistes en mystique et en philosophie des spiritualités.

Henry Corbin est mort à Paris le 7 octobre 1978.

 

PRINCIPAUX APPORTS DE LA PHILOSOPHIE D’HENRY CORBIN

Philosophe, Henry Corbin a opéré une synthèse entre une inspiration foncièrement platonicienne, l’héritage de Husserl et les enseignements de la philosophie islamique, chrétienne et hébraïque.

Il s’intéressa particulièrement aux penseurs et mystiques qui autorisent une lecture exégétique et spirituelle du Coran. C’est pourquoi ses travaux se déploient particulièrement dans les domaines du soufisme, des penseurs sunnites méconnus, du shî’isme duodécimain et ismaélien. Ce qui l’intéresse, c’est le sens donné à la révélation contre toute politisation du religieux et contre la laïcisation de la théologie. Inventeur de concepts, son nom s’attache à l’élucidation d’une thématique, celle de l’imagination symbolique et du « monde imaginal »

Par ses éditions, ses traductions et ses commentaires d’œuvres monumentales de l’Orient, Henry Corbin ouvre et irrigue la philosophie occidentale qu’il extrait de son « provincialisme » selon sa propre expression. Il nous permet de ré-interroger notre propre histoire de la philosophie, celle qui passe par Saint Augustin ou Maître Eckhart.

Réciproquement, il lit les grands philosophes de l’islam avec le double regard de l’orient et de l’occident. Il jette ainsi des ponts entre les deux formes de pensée, deux traditions issues de la philosophie grecque.

A une œuvre qui offre des éditions critiques de textes fondamentaux oubliés, s’ajoute une méditation ouverte sur le sens même de l’Occident et de l’Orient, sur les fondements de la question de l’existence, sur l’irréductible destin de la condition humaine dans le sillage de Kierkegaard comme du geste inaugural des grands protestants de l’esprit.

Du côté de l’Islam, il faut se souvenir que Corbin a formé un grand nombre d’étudiants musulmans, passionnés par leurs philosophes. Ces étudiants sont devenus eux-mêmes de grands traducteurs et commentateurs des textes de leurs propres traditions qu’ils font connaître et reconnaître partout où ils se trouvent. Ils puisent chez Corbin le bonheur de voir que leurs penseurs retrouvent enfin la place qui leur revient dans la bibliothèque universelle et font barrage à l’étroitesse dans laquelle ils sont enfermés (voire exclus), tant par les interprètes musulmans intégristes et bornés, que par les non-musulmans, contempteurs de l’Islam.

 

L’ŒUVRE D’HENRY CORBIN

 Dans le Cahier de l’Herne de 1981 (cf.note1) on peut trouver la liste quasi exhaustive des œuvres d’Henry Corbin. Nous ne donnerons ici que la référence de quelques-uns des principaux livres.

 

Avicenne et le récit visionnaire : Téhéran-Paris, Bibliothèque iranienne, tomes 4 et 5, 1954, réédition partielle, Paris, Berg International, 1979 ; réédition intégrale, Verdier, coll. « Islam spirituel », 1999.

L’Imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn’ Arabî : Paris, Flammarion 1958 ; réédition, 1977.

Trilogie ismaélienne : Bibliothèque iranienne, Téhéran 1961 ; réédition, Verdier, coll. « Islam spirituel », 1994.

En Islam iranien : aspects spirituels et philosophiques : Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Idées », 1971-1973 ; réédition, coll. « Tel », 1978.

L’Homme de lumière dans le soufisme iranien : Sisteron, Editions Présence, 1971 ; réédition, 1984.

L’Archange empourpré. Quinze traités et récits mystiques de Sohrawardî traduits du Persan et de l’Arabe : Paris, Fayard, coll. « L’espace intérieur », 1976.

Le paradoxe du monothéisme : Paris, L’Herne, coll. « Mythes et Religions », réédition, 2003.

Philosophie iranienne et Philosophie comparée :Téhéran, 1977 ; réédition, Paris, Buchet-Chastel, 1985.

Corps spirituel et Terre céleste : de l’Iran mazdéen à l’Iran shî’ite : Paris, Buchet-Chastel, 1979 ; réédition, 2005.

La Philosophie iranienne islamique aux XVII et XVIIIème siècles : Paris, Buchet-Chastel, 1981.

Temple et Contemplation : Paris, Flammarion, 1981.

Face de Dieu, Face de l’homme : Paris, Flammarion, 1983.

L’Homme et son ange : Paris, Fayard, coll. « L’espace intérieur », 1983.

Le livre de la sagesse orientale de Sohrawardî : Verdier, coll. « Islam spirituel » 1985 ; réédition, Paris, Gallimard, coll. « Folio-Essais » 2003.

Histoire de la philosophie islamique : Paris, Gallimard, coll. « Folio-Essais » 1986,

Sohrawardî d’Alep : Montpellier, Fata Morgana, 2001.

Le livre des sept statues : Paris, l’Herne, coll. « Mythes et Religions », 2003 (publié antérieurement sous le titre « le roman des sept statues d’Apollonios de Tyane, conservé par l’alchimiste Jaldakî » in Annuaire de l’Ecole pratique des Hautes Etudes Section des Sciences Religieuses, Paris 1973).

L’Imam caché : Paris, l’Herne, coll. « Mythes et Religions » 2003.

  

                                          ECOUTER HENRY CORBIN

 Henry Corbin, plus actuel que jamais

 

On prétend souvent que les Musulmans ne connaissent plus guère leur propre culture religieuse, mais que dire des autres religions ? Les juifs, pour la plupart, ne lisent pas leurs textes, et les chrétiens ne savent pas mieux ce qu’ont écrit leurs grands auteurs quand ils connaissent leurs noms !
Bien sûr, il y aura toujours, au fond d’un « enclos », quelques espèces rares de savants, - de moins en moins protégées- qui traduiront et commenteront ces textes. Mais cela se passe de plus en plus loin de l’opinion commune. Et cet éloignement laisse le champ libre aux préjugés, à l’ignorance et à la haine.

Les textes religieux fondateurs sont trafiqués en fonction de l’idéologie du lieu et du moment. Les peuples paient cette ignorance subie ou cultivée : terrorismes d’Etat, terrorismes clandestins, guerres civiles etc..

Evidemment, chez nous, en Europe, pensons-nous, c’est beaucoup mieux. C’est oublier la part de responsabilité que nous avons dans cet état des choses : il suffit de lire quelques livres à la mode et beaucoup d’articles dans de grands journaux. Il serait vain de faire la liste de toutes les régressions qui sont à l’œuvre dans la pensée en France aujourd’hui sur ces sujets.
Ceux qui se présentent comme les tenants du discours font de telles erreurs et avec une telle arrogance que l’on peut raisonnablement se demander si leur méconnaissance des faits, des textes et de l’histoire qui entretient l’obscurantisme n’est pas volontaire. Il semble que la réponse soit oui puisque l’œuvre de Henry Corbin, qui n’a pourtant cessé d’insister sur l’urgence de prendre contact avec les grands penseurs de l’Islam, n’est pratiquement jamais citée dans les médias, alors même qu’elle est publiée dans les maisons d’édition les plus prestigieuses dès les années 50 et qu’on la trouve aujourd’hui en éditions de poche dans toutes les librairies.

Donc la référence la plus érudite et la plus disponible sur les questions qui sont à l’ordre du jour semble tout à fait inconnue de la plupart de ceux qui prétendent être des intellectuels éclairés sur l’époque, comme de la plupart des journalistes qui nous parlent de l’Islam. 

Nous prendrons pour exemple de cette haine du savoir ce qui est dit dans les plus importants médias français (le Monde, le Canard enchaîné, le Figaro, les télévisions et bien sûr les radios) sur la « fameuse-secte-des-Assassins » tellement fameuse, d’ailleurs, que presque tout le monde raconte des âneries : ce qui veut dire que l’Islam est réduit par nous à l’état de pensée politique, mais n’est jamais objet de connaissance

Sur ces questions, ce n’est pas le savoir anglo-saxon qui a entrepris le travail savant sur les textes : c’est l’école française -celle des élèves de Massignon et singulièrement Henry Corbin- qui a eu, la première entre les mains, et seulement après la 2ème guerre mondiale, la possibilité de consulter les manuscrits authentiques et tenus secrets auparavant.

Or, nous ne le répèterons jamais assez, il n’y a pas d’Islam, mais DES Islams, et c’est au travail d’Henry Corbin que nous devons la redécouverte des penseurs et des mystiques « des Islams » occultés par les grands courants officiels

On pourrait établir un bêtisier de ce que l’on entend raconter communément à partir de ce que quelques faussaires ont pu écrire dans les journaux après le 11 septembre 2001 : j’invite tous ceux épris de vérité à aller voir de près ce que dit Corbin par exemple :

Sur « Les Assassins », sur le « Vieux de la Montagne » (Personnage romanesque, nommé ainsi par les Croisés et qui a donné lieu à une légende uniquement occidentale) ou encore de vérifier l’absurdité, le non-sens qu’il y a dans l’équation reprise par presque toute la presse: « Assassins = Vieux de la montagne = Ben Laden » : cette équivalence dénote un mépris, qui n’a d’égal que l’ignorance, pour l’Islam.   

En effet, Ben Laden est de religion Wahhabite, branche du sunnisme qui remonte au 18ème siècle. Rien à voir avec l’Ismaélisme, branche du Shî’isme qui remonte directement au gendre du Prophète. Le Wahhabisme est une forme très intégriste de l’Islam, et, surtout, une forme politique, alors que les Ismaéliens (les soi-disant « Assassins ») se tiennent du côté de l’Islam spirituel et sont maudits par les autorités religieuses officielles en Arabie Saoudite.
Pour des raisons éthiques et politiques évidentes, il serait bon de faire un tri un peu plus éclairé, à l’intérieur de l’Islam, qui, loin d’être une religion unitaire est composée de multiples tendances souvent très éloignées les unes des autres, voire antagonistes –afin de ne pas confondre, dans ce monde si diversifié, les victimes avec les bourreaux.

 Il est donc nécessaire de nous mettre, enfin, à l’écoute de Henry Corbin, qui, déjà en son temps, avait bien diagnostiqué l’étroitesse de notre pensée, étroitesse qui s’exerce en premier lieu contre nous-mêmes. Impossible, en effet, comme Corbin le fait remarquer sans cesse, de comprendre quoique ce soit à ce que racontent les penseurs de l’Islam, si nous ignorons notre propre culture : celle qui, par exemple, a autorisé la mystique rhénane, celle qui a permis la fulgurance philosophique et esthétique de la Renaissance, celle qui a produit Pascal ou Spinoza.

Perdre les penseurs de l’Islam, c’est se perdre nous-mêmes.

Pour bien lire ces philosophes, nous sommes confrontés à des problèmes de deux ordres.

Le premier est que l’Islam, dont nous parle Henry Corbin, reflète un état d’esprit plus proche de celui que nous avions en Occident avant les grandes coupures positivistes.

Prenons, par exemple, la définition de ce que Corbin a traduit par « monde imaginal » et qui est une des notions clefs pour comprendre la mystique shî’ite. Dans le texte de Jean-François Pic de la Mirandole, de l’Imagination, écrit en 1500 (réédité chez Comp’Act, 2005), on peut lire des définitions comme celle-ci : « L’imagination en effet se tient à la frontière entre l’intellect et le sentir ; elle est située au milieu des deux : elle dérive certes du sentir, par l’acte duquel elle naît ; en revanche, elle précède l’intellection. Elle s’accorde avec le sentir puisque, comme celui-là, elle perçoit les choses particulières, corporelles et présentes ; mais elle le surpasse puisque, sans que rien ne la mette en mouvement, elle produit des images non seulement présentes, mais passées et futures, et même des images auxquelles la nature ne pourrait donner jour. » (p. 29 et suivantes). 

Nous sommes là, dans notre propre tradition culturelle, au cœur de la rencontre des deux expériences conceptuelles, celles des philosophes et des mystiques de l’Islam, et la nôtre.

 Le deuxième problème est que le savoir sur notre monde s’est rétréci, et Corbin insiste – je dirai presque lourdement- sur ce rétrécissement. Nous assistons, dans les études philosophiques, à l’extension de ce que Corbin appelait, déjà à son époque (c’était dans les années 60 !!!) « un provincialisme » occidental. Mais depuis l’étroitesse d’esprit et la haine de l’altérité n’ont fait que progresser.

C’est pourquoi, lorsque que nous passons à côté de l’immense travail entrepris par les philosophes orientalistes, notamment français, qui furent, ajoutons-le, presque tous des antinazis conséquents, ce qui fut le cas de Corbin évidemment, ce n’est pas seulement à côté des autres que nous passons : nous dénions notre propre culture, nous nous réduisons et réduisons notre monde, nous nous renions nous-mêmes,

La morgue qui régule aujourd’hui nos rapports à l’Islam, n’est qu’une des expressions de notre mépris pour la vie vivante de la pensée.

Ecouter Henry Corbin relève donc de l’urgence.

  

LE CHOIX DES ARCHIVES

 Les interventions radiophoniques réunies dans ces 3 CD s’écoutent avec clarté : leurs formes sont simplement tributaires des manières de faire de la radio à une époque donnée.

Henry Corbin n’a cessé d’intervenir dans les médias depuis les années 50 jusqu’à sa mort. Il était conscient des enjeux- qui se sont révélés de plus en plus brûlants- de la connaissance des pensées et des textes de l’Islam et n’a jamais refusé de mettre ses travaux savants au contact du grand public.

Pour le centième anniversaire de sa naissance, j’ai produit pour les « Nuits de France-Culture » dix heures d’archives de la voix d’Henry Corbin, qui ont été diffusées comme suit :cinq heures dans la nuit du 2 novembre 2003, cinq heures dans la nuit du 3 novembre 2003.

Ces archives regroupaient presque toutes les interventions radiophoniques données par Henry Corbin, conservées par l’I.N.A. (Institut National de l’Audiovisuel) depuis les années Cinquante jusqu’à sa mort.

Les archives présentées ici proposent un choix de ces interventions qui éclairent de grandes notions mal connues, comme « Imam », « Shî’isme », « Soufisme », mot pour lequel Henry Corbin donne ici une surprenante étymologie, et des concepts, comme celui de « Monde Imaginal », « gnose dans l’Islam ». Il répond également à des questions comme : « qu’est-ce que le mal pour un Ismaélien ? »

Comme le souhaitait Henry Corbin, ces interventions font aussi connaître quelques-uns des grands penseurs et mystiques de l’Islam iranien : Sohrawardî, Abû Ya’qub Sejestânî, Mîr Dâmâd, Môllâ Sadrâ Shîrâzî, Ibn’Arabî, Nûruddîn Abdurrahmân-e Isfarâyinî et tant d’autres (6) qu’il fait dialoguer avec les penseurs de notre ère géographique, comme Maître Eckart, Angelus Silesius ou Spinoza.

Ces archives sont donc l’occasion de redécouvrir tout un pan oublié de la philosophie et de la mystique et de lui redonner la place qui lui revient dans l’histoire de la pensée mondiale.

 

Christine Goémé

© 2006 Groupe Frémeaux Colombini SAS

  

Christine Goémé :

Christine Goémé est née en 1950. Depuis 1978, elle a produit sur France-Culture des émissions pourLes Chemins de la connaissance, A voix nue, Le Bon plaisir, Radio Libre, Une vie, une œuvre, La Matinée des autres... Créatrice de l’émission Les Idées en revue (1991-1999) elle a également produit de nombreuses émissions spéciales sur Michel Foucault, sur Descartes, sur Aragon, ou encore sur Jacques Lacan, etc. Certaines de ces émissions ont été éditées : Les Saveurs du savoir, cinq heures sur Roland Barthes ; Vladimir Jankelevitch ou la tentation de penser et l’Immédiat, deux fois cinq heures à partir des cours qu'elle a établis, ainsi que Un homme libre, trois heures d’hommages consacrées à ce philosophe (les archives contenues dans ces émissions ont été récemment rééditées aux éditions Frémeaux & Associés).

Pour les éditions Frémeaux et Associés, elle a choisi et présenté de larges extraits d'une vingtaine des grands philosophes du 20ème siècle regroupés en 6 CD sous le nom Anthologie sonore de la pensée française par les philosophes du XXè siècle. Elle produit aujourd’hui, toujours sur France-Culture,L’Eloge du Savoir.

Christine Goémé est Vice-Présidente de la Société des Gens de Lettres de France (SGDL) et Présidente de la Commission des Affaires Radiophoniques de la SGDL.

 

1. On peut trouver une biographie plus détaillée dans le Cahier de l’Herne, aujourd’hui épuisé, qui fut consacré à Henry Corbin en 1981, sous la direction de Christian Jambet.

2.  C’est à Etienne Gilson que l’on doit la redécouverte incontournable de la philosophie médiévale dans l’histoire de la pensée

3.  Henry Corbin « Post-scriptum biographique à un Entretien philosophique » in Cahier de l’Herne.

4.  Ibidem.

5.  Cf. l’émission « les chemins de la connaissance : Henry Corbin philosophe », par C. Goémé, diffusée du 3 au 7 novembre 2003, et notamment, à ce sujet, l’intervention de Paul Fenton

6.  Cf. bibliographie ci-jointe : Histoire de la philosophie islamique et En Islam iranien